Il y a ces moments, rares, presque incongrus, où le temps s’ouvre.
Une réunion reportée, un rendez-vous annulé, un projet qui s’essouffle — et soudain, un espace se crée.
Une heure, un après-midi, parfois une journée entière, libérée de toute contrainte.
On devrait se réjouir, non ?
Et pourtant, un étrange malaise s’installe.
Ce vide, cette respiration imprévue, a quelque chose d’inquiétant.
Ce qu’on appelle “temps libre” ne se présente pas toujours comme une promesse, mais parfois comme une inquiétude subtile.
Le silence d’un créneau vide sur l’agenda peut être plus déstabilisant qu’une journée surchargée.
On regarde l’agenda, incrédule, comme s’il manquait une pièce au puzzle.
Quoi faire de ce temps libre ?
On cherche aussitôt à le remplir — ranger, appeler, lire, rattraper.
Ne surtout pas laisser le vide s’étendre.
C’est plus fort que nous : notre époque nous a appris que le temps n’existe qu’à travers ce qu’on y met.
Alors, quand rien ne s’impose, tout vacille.
Le décor s’efface, le bruit du monde s’éloigne, et nous restons face à ce qu’on évite le plus souvent : nous-mêmes.
Sans tâche, sans obligation, sans rôle assigné.
Juste là, disponibles — et désemparés.
C’est une expérience étrange que celle d’avoir du temps.
Non pas du “temps à perdre”, mais du temps nu, sans utilité immédiate, sans direction.
Il révèle combien nous sommes devenus dépendants de la contrainte, du programme, du sens prêt-à-porter.
Nous vivons saturés d’agendas pleins, persuadés que c’est là la preuve d’une existence bien menée.
Et pourtant, dans cette brèche, il se joue peut-être quelque chose d’essentiel.
Quand le cadre se fissure, quand l’horloge se tait, une autre temporalité affleure — celle de l’être, et non du faire.
Ce n’est pas confortable. C’est même une forme de vertige.
Mais c’est là que la liberté se niche : dans cette capacité à ne pas combler immédiatement le vide, à laisser le temps exister pour lui-même.
/image%2F0735747%2F20251022%2Fob_1c8093_3c241ce38a7d975043e352a8a8140379.jpg)